Le Haut Moyen Âge est l’époque que les Anglais appellent « sombre » (« dark ages ») comme si les lacunes archéologiques ou le manque de document nous empêchent de mettre en lumière les différentes pratiques. Il semble toutefois que les techniques de siège romaines s’oublient siècle après siècle face à une architecture militaire très différente. La période féodale hérite donc d’un art du siège plus rudimentaire et rapide.
GÉNÉRALITÉS
Changement de fortification et de mentalités
Durant le Haut Moyen Âge, les villes perdent petit à petit leurs anciennes fortifications, soit par manque d’entretien, soit parce qu’en temps de paix, elles sont utilisées comme carrière de pierre afin de construire des bâtiments civils. La fortification de terre et de bois remplaçant celle de maçonnerie, les techniques romaines de siège ne sont plus utiles.
De plus, le siège en règle est long et demande une certaine discipline de la part de l’armée ce qui ne sera plus le cas au début du Moyen Âge. Si les techniques de siège sont encore connues dans un premier temps, une issue rapide au combat sera souvent privilégiée. Les troupes sont souvent payées par le pillage, il n’est donc pas rare que les soldats stoppent un siège trop long pour piller les villages alentour ou qu’ils s’arrêtent une fois la première enceinte traversée (sans prendre le centre du pouvoir).
Une question d’argent et d’effectifs
Le système féodal primitif ne permet pas d’ériger une grande armée, et les combattants ne sont tenus qu’à quelques mois non payés par an (souvent 40 jours). Les seigneurs de cette époque n’étant pas très riches, le siège devait donc être rapide.
En effet, un siège « à la romaine » demande beaucoup d’argent et de nombreux hommes (soldats, ouvrier et autres).
Les effectifs d’un seigneur se résument généralement à la défense d’une ville ou d’un village. Cette petite armée peut donc être nécessaire à la défense de la place ou au siège d’une autre. Entre seigneurs, l’armée assaillante était d’une taille similaire aux défenseurs. De légères fortifications de terre et de bois suffisaient à donner un avantage significatif aux défenseurs. Les seigneurs assiégeaient donc très rarement un autre seigneur à moins qu’il soit clairement en infériorité. À cette époque, les fortifications servent davantage à se défendre des brigands.
Tout semble concorder pour arrêter les techniques romaines de siège, et adopter des techniques plus rapides et efficaces contre une enceinte de terre et bois. Mais aussi, il ne semble plus utile ou possible financièrement d’ériger des fortifications de pierre.
Quelques traces de fortifications de pierre
Du Ve au XIIe siècle, il restera toutefois des forteresses de maçonnerie. Il s’agira par exemple d’anciennes fortifications romaines et de sites de montagne (où la matière première disponible est la pierre).
De telles places fortes étaient presque imprenables à cette époque si la garnison était fidèle et bien alimentée. Seul un riche seigneur ayant une forte armée pourra s’aventurer sur un tel siège. Les connaissances en poliorcétiques étant quelque peu oubliées, on fera parfois appel à des ingénieurs byzantins pour mener le siège (siège long et très cher).
Poursuivons en analysant les étapes du siège :
LE BLOCUS
Vu la recherche de rapidité et le type de fortification, l’investissement d’une place ne semble pas être très utilisé durant le Haut Moyen Âge.
Les sièges rapides
La majorité des sièges du Haut Moyen Age étaient rapides, parfois justes des raids sans prise de possession de la place. Ces derniers ne demandaient pas plus de quelques heures. Si les défenses sont trop importantes, les pillards se rabattaient alors sur un autre village.
Si le siège durait quelques jours ou semaines, le blocus se limitait certainement à un campement fortifié gardé par les soldats et certainement clos par un clayonnage ou une palissade. En effet, si le bois est présent à proximité, ces fortifications légères ne demandaient que quelques jours à ériger.
Les grands dirigeants
Les textes nous parlent malgré tout de sièges longs : Guillaume le Conquérant assiège le vicomte de Beaumont enfermé dans Sainte-Suzanne durant quatre années (1083-1087), on fait appel à des ingénieurs byzantins pour mener le siège d’Angers (en 873)… Les longs sièges existaient donc encore au Haut Moyen Âge, mais restaient toutefois très rares et réservés aux grands dirigeants.
Dans ces cas, le campement devrait être fortifié tout aussi bien que la place assiégée ! Les textes anciens parlent d’ailleurs de la construction de mottes féodales durant des sièges (mottes de siège). Ces mottes avaient certainement comme rôle de montrer la supériorité de l’assaillant, plutôt qu’un rôle militaire.
Les investissements étaient, semble-t-il, de simples camps fortifiés, on ne peut donc pas encore parler de blocus réalisé autour de la place à assiéger.
LES TRAVAUX D’APPROCHE
Les travaux d’approche ne sont pas nombreux à cette période, ils consistent surtout à se créer un passage jusqu’à la palissade principale. En effet, la fortification du Haut Moyen Âge consiste en une juxtaposition de clôtures, palissades, fossés, zones plantées (épineux, ronces…), terrains piégés, arbres abattus. Les assaillants combleront donc les fossés à l’aide de fascines, de terre ou de tout autre objet ; ils couperont les branches étalées sur le passage, et faciliteront le passage des suivants et des engins de siège rudimentaires.
Malgré tout, l’accès le plus aisé à une place forte sera souvent la porte d’entrée. Comme les systèmes de défense des portes à cette époque sont encore limités, il s’agira du premier choix d’attaque. On peut d’ailleurs imaginer que l’ensemble des autres systèmes défensifs devait inciter les assaillants à s’attaquer aux portes. La garnison de la place forte devait donc y être plus nombreuse.
Pour les moyens de protection, les textes parlent de mantelets et de toitures sur roue protégeant les assaillants, mais le simple bouclier était certainement la protection principale.
L’AFFAIBLISSEMENT DES MURS
Il semble exister principalement deux manières d’affaiblir les murs au Haut Moyen Âge : en les détruisant avec les armes ou en les brulant.
Détruire les palissades
L’arme de poing (épée, hache…) pouvait être utilisée pour détruire les palissades. Toutefois, couper les palis de 15-20cm d’épais, lentement, sans véritable défense, sous une pluie de flèche et de coups de lance ne permettait certainement pas de réaliser de grandes brèches.
Il est donc plus vraisemblable que les assaillants escaladaient les palissades de 2-3m de haut sans les détruire à l’aide d’échelle, comme cela se fera encore par la suite au temps de la fortification de pierre.
Les portes étaient vraisemblablement la première cible des attaques. Elles étaient certainement réalisées en bois non équarris reliés entre eux et difficilement ancrées dans une structure de bois. Le bélier permettait donc de forcer ces portes en les désolidarisant de la structure ou en les disloquant. Les textes et la tapisserie de Bayeux assurent l’utilisation du bélier rudimentaire (simple poutre sur roue ou portée par les soldats).
Brûler les palissades
Le feu comme première arme
Face à la fortification de bois, l’incendie devient l’arme la plus efficace. Une fois le feu bouté, la palissade se consume progressivement et l’incendie se propage au reste de la fortification. En quelques heures, ceci crée donc une brèche d’une ampleur suffisante pour laisser passer de nombreux soldats. Seules les protections de terre persistent (fossés, merlons, trous…)
Toutefois, le bois se consume d’environ 4cm par heure et de manière superficielle. L’intérieur reste donc parfaitement résistant. Les palis de bois non équarris devaient donc bruler plusieurs heures avant que l’armée ne puisse se frayer un chemin au travers de la brèche. Il est probable que les assaillants attendaient donc quelque temps avant d’engager l’assaut, ce qui peut prouver que la prise d’une place forte du Ve au XIIe siècle implique une certaine organisation et pas un assaut unique où toutes les étapes s’entremêleraient.
Les moyens de bouter feu
Il existe plusieurs moyens de mettre le feu aux fortifications :
• La torche ou une barre de fer rougi qui seront lancées au plus près de la fortification.
• De longs bâtons (ou lances) au bout desquelles est placée une torche. Cette solution utilisée par les cavaliers sur la tapisserie de Bayeux devait permettre de démarrer de multiples foyers autour de la fortification.
• Des matières inflammables (goudron, alcool…) rependues tout autour des fortifications dont on mettra le feu ensuite.
• Des récipients incendiaires se brisant sur les fortifications (les mélanges sont visqueux et gluants afin de se coller à la cible et s’enflamment facilement à basse température).
• Des flèches enflammées (se plantant dans le bois des ouvrages).
• Des brûlots roulants, sorte de charrette chargée de matière inflammable (bois sec, graisse, sang coagulé) que l’on place devant la fortification ; la quantité de matière en flamme est telle qu’il est difficile d’éteindre le brûlot, de plus cela devait produire beaucoup de fumée qui rendait la défense difficile là où il se trouvait.
L’ASSAUT
Un assaut unique ?
Il est difficile de savoir si l’assaut était organisé ou si les troupes se ruaient tous ensemble vers la fortification. Dans le cas de mettre le feu aux palissades, nous avons déjà pu dire que ceci imposait de postposer l’assaut de quelques heures. Il est donc plausible qu’un premier assaut était mené sur les portes de la place ou en escaladant les palissades, et qu’en cas de défaite, ils devaient donc tenter par d’autres moyens plus longs.
Dans les premiers cas, les travaux d’approche, d’affaiblissement des palissades et l’assaut ne formait certainement qu’une seule et même attaque. Les assaillants étaient alors en situation de faiblesse, les défenseurs pouvaient leur tirer dessus avec des arcs ou bien les écarter des palissades avec des lances.
Les armes
On utilise des armes simples : lance, épée, hache ; l’arc et l’arbalète s’utilisent peu au Haut Moyen Âge, mais deviennent les armes principales du siège dès le Xe siècle. Pendant ce temps, les défenseurs lancent tout ce qui est imaginable sur les assaillants : flèches et carreaux bien sûr, mais aussi cailloux, pavés, torches, pots à feu, eau bouillante, roues… tout ce qui peut être lancé !
Les moyens d’attaque sont assez simples : le premier code juridique de Strasbourg (XIIe siècle) ne mentionne que des flèches à fournir à la ville en cas de siège (à mener ou à subir). Les moyens de défense sont aussi rudimentaires, les défenseurs doivent sortir leur corps de moitié pour lancer flèches et objets.
Et la cavalerie ?
Face à ceci, on peut se demander si la tapisserie de Bayeux est donc juste, car elle montre principalement des cavaliers. Ils pouvaient être utiles pour attaquer au-dessus des palissades avec des lances, mais les multiples fossés, ronces, trous, branches évitaient justement que des cheveux puissent s’en approcher.
Les défenseurs tiraient un meilleur parti des chevaux. Le récit du siège du Puiset (1111) décrit par exemple des cavaliers galopant le long des palissades et frappant de la lance des multiples assaillants en train d’escalader.
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