La forme théorique est la forme idéale que le facteur d’arc a en tête lorsqu’il travaille, la forme géométrique de base qu’il faudra ensuite adapter à la branche choisie.
Afin d’imaginer les formes d’arcs performantes, il est utile de se référer à notre article sur ce sujet. De même, nous parlerons de la forme de différents arcs repris dans cet article.
LA PUISSANCE
Longbow en merisier 70#@28″
Longbow en érable 70#@28″
La puissance de l’arc influence la vitesse de la flèche, et donc l’efficacité de l’arc. Toutefois, la puissance doit être adaptée à l’archer afin de ne pas se blesser et de pouvoir tirer à pleine allonge (sinon il est préférable de tirer à pleine allonge avec un arc légèrement moins puissance).
Un arc trop puissant pour l’archer réduit également sa précision, même si la flèche est plus rapide.
L’épaisseur et la largeur du quartier de bois influencent directement la puissance définitive. Il faut donc tirer profit au mieux du quartier disponible (pas possible d’ajouter de matière pour un arc simple).
Ce n’est qu’en réalisant de multiples arcs d’une certaine essence, que l’on peut commencer à estimer les possibilités et la forme définitive.
Nous avons déjà lu dans des livres des dimensions pour arriver à un arc de 50 livres… sauf qu’au final, il en aurait fait le double !
Pour donner une valeur de base :
– Longbow en frêne 50#@28’’, 1m80, section en D. Il aura une poignée d’environ 3 à 3.5 cm de large et d’épaisseur. Compter 3 cm pour 40 livres et 2.5 à 3cm pour 30 livres ! donc peu de différence au final.
– Flatbow en frêne 50#@28’’, 1m80, section rectangulaire. Il aura à la base des branches, des dimensions de 4 à 5 cm sur 2 cm environ. Pour une section en demi-lune, il fera alors plutôt 2.5 à 3 cm d’épaisseur.
À cette base, il faut alors ajouter des facteurs modificatifs : la longueur de l’arc, l’essence, le nombre et la largeur des cernes, la forme de l’arc jouent chacun un rôle dans la puissance définitive. Le degré d’hygrométrie influence aussi la puissance de l’arc
– La masse volumique de l’essence choisie influence directement la puissance de l’arc. Les bois lourds demandent des branches plus fines que les bois de densité moyenne. Ces derniers seront aussi plus fins que les bois légers.
La variation de dimension des branches (en section) est proportionnelle à la densité, de telle sorte que le poids de l’arc final sera similaire pour un arc de bois lourds et un arc de bois léger. Ainsi, le peuplier aura besoin de pratiquement 2x plus de matière que le charme pour obtenir un arc de même puissance.
Bois lourds : densité moyenne supérieure à 0.70 t/m3 ou g/cm3 : robinier 0.74, Osage orange 0.85, Hickory 0.75, Lemonwood 0.75, charme 0.8, le chêne 0.71, if 0.71, hêtre 0.71, Aubépine 0.7, buis, houx…
Bois moyens : densité entre 0.5 et 0.7 : Bouleau 0.65, châtaignier 0.59, érable 0.65, frêne 0.7, noyer 0.67, orme 0.65…
Bois légers : inférieur à 0,5 : tilleul 0.50, Peuplier 0.44, Sapin, épicéa, pin…
Densité de différents bois industriels
– Pour du frêne, une branche ayant des cernes espacés de 5-6mm devra être environ 15-25% plus épaisse qu’un bois ayant des cernes de 2mm environ pour avoir une puissance identique (les cernes fins peuvent augmenter la masse volumique de 10 à 20 %).
– En réduisant la longueur d’un arc de 5 cm, on augmente sa puissance d’environ 5% (2-3 livres en plus pour un arc de 50 livres).
– Un arc ayant un deflex de 7-8cm sera environ 10-15% moins puissant qu’un arc droit identique (longueur, épaisseur…). L’arc reflex sera encore plus puissant que l’arc droit (même ordre de grandeur).
Il faut donc prendre ceci en compte puisque tout au long de l’équilibrage des branches (Tillering – étapes ultérieures), l’arc prendra un suivi de corde qui réduit donc la puissance de l’arc progressivement (le suivi de corde durant le tillering est de 5 à 10 cm et sera plus important si la branche est reflex à l’origine et/ou si les cernes sont plus larges, mais aussi selon l’essence de bois).
– L’arc recurve sera plus puissant que l’arc droit (effet similaire à l’arc reflex voir légèrement plus important si la corde touche le bois).
Il s’agit de principes généraux, mais estimer par rapport à une essence est encore plus difficile, car certains facteurs nous semblent encore aléatoires.
Dans la pratique, nous nous rendons compte que certains ifs sont plus denses et d’une consistance plus homogène et moins fibreuse (les coups de plane ne le fendent pas, mais l’entaillent). Bien que plus lourds, ces bois ne permettent pas pour autant de réaliser des arcs plus puissants.
Les performances de ces arcs sont donc inférieures aux ifs plus « habituels ».
If plus lourd en cours de travail (l’aubier, peu marqué sur la photo, est blanc de l’autre côté)
If classique en cours de travail
LA LONGUEUR
La longueur de l’arc influence la puissance : plus l’arc est long, plus il perdra de puissance pour une section donnée. Il est donc souvent utile de commencer l’arc un peu plus long que désiré afin de pouvoir augmenter en puissance si nécessaire par la suite en le recoupant légèrement (environ 1 à 2% de puissance en plus par cm recoupé).
La longueur influence aussi la rapidité de la flèche et donc l’efficacité de l’arc comme nous avons pu le voir dans cette page. Par contre, un arc plus long gagne en précision (les branches faisant office de stabilisateur) ; tandis qu’un arc plus court sera plus maniable à la chasse en foret.
Plus un arc sera long, plus les contraintes internes dans le bois seront importantes (pour une section et une puissance identique). Toutefois, comme nous l’avons vu dans cette page, opter pour des branches aplaties et larges (flatbow) permet de réduire ces contraintes.
Le flatbow ne sera pas forcément plus court que le longbow, mais pour obtenir les meilleures performances et pour réduire le risque de casse, il sera préférable de privilégier le longbow pour les arcs longs et le flatbow pour les arcs courts :
– Il est déconseillé de réaliser un arc étant plus petit que 2 fois l’allonge de l’archer (forte perte de rapidité de la flèche). Toutefois, c’est possible si les branches sont très aplaties et très larges (moins de 7-8mm d’épais).
– Pour une longueur entre 2 et 2.3 fois l’allonge, il sera préférable de réaliser un flatbow.
Le longbow aura de fortes chances de casser en dessous de 2.2 fois l’allonge.
– Pour une longueur comprise entre 2.3 et 2.5 fois l’allonge, longbows et flatbows sont possibles.
– Au-delà de 2.5 fois l’allonge, préférer le longbow car le flatbow diminuera les performances de manière plus significative.
Les meilleures performances sont comprises entre 2 et 2.5 fois l’allonge, l’idéal étant 2.3-2.4 fois l’allonge environ. Pour assurer une plus longue vie à l’arc, il est toutefois recommandé d’ajouter 5-10 cm par précaution.
LA SECTION DES BRANCHES
La forme des branches est une donnée importante, car elle modifie fondamentalement l’esthétique de l’arc, mais aussi, elle permet de répartir différemment les contraintes internes du bois.
D’une manière générale, les sections quadrangulaires permettent de mieux répartir les contraintes de traction et compression, car elles sont réparties sur une plus grande largeur et évitent les « poids morts ». Les branches de sections carrées ou rectangulaires seront moins lourdes qu’un arc de section plus arrondie. Toutefois, il faut relativiser, car c’est le poids en bout de branche qui a le plus d’importance sur la rapidité de la flèche. Or, les sections de branche arrondies sont proches du carré aux extrémités.
Il est important de choisir une section de branche adaptée à l’essence du bois. Certains bois résistent très mal à la compression (comme le noisetier), dans ce cas, il faut alors impérativement répartir les contraintes de compression sur une plus grande largeur en travaillant avec un ventre aplati (éviter la section en D avec le noisetier, préférez des flatbows). Cela limite le risque de rupture en compression qui ne se manifeste pas par la casse de l’arc, mais par ce que nous appelons des plies de compressions : les fibres s’écrasent sur elles-mêmes, ce qui crée généralement une courbe dans la branche à cet endroit (deflex).
LA PROPORTION DES BRANCHES
Une notion importante à retenir :
– si l’on double l’épaisseur des branches, la puissance sera quadruplée (au carré) et les contraintes internes seront augmentées en conséquence.
– si l’on double la largeur des branches, la puissance sera doublée, mais les contraintes resteront les mêmes.
Choisir l’épaisseur d’un arc, c’est donc trouver le meilleur compromis entre épaisseur (puissance) et largeur (résistance). Plus l’épaisseur est importante (longbow), plus on allège l’arc, mais plus on augmente les contraintes.
En réalité, on peut considérer que chaque morceau de bois a une épaisseur maximale à ne pas dépasser sans risquer la casse ou un suivi de corde trop important (pour une longueur d’arc donnée). Cette épaisseur varie d’une essence à l’autre, selon l’endroit où l’arbre a poussé… Le seul problème, c’est qu’il est difficile d’estimer quel pourrait être cette épaisseur, sauf peut-être avec l’expérience. Au-delà de cette épaisseur « maximale », si l’on désire augmenter en puissance, la seule solution est donc d’élargir les branches. Toutefois, des branches trop larges ne permettent plus de prendre correctement l’arc en main, ce qui impose d’amincir en largeur à la poignée et d’augmenter son épaisseur pour ne pas la laisser plier… le longbow devient flatbow !
Dans la pratique, les arcs de faibles puissances (moins de 30 livres) peuvent avoir à peu près toutes les formes et être réalisés avec toutes les essences. Par contre, plus on désire de la puissance, moins de bois permettent de les réaliser sous la forme d’un longbow.
« (…) de tous boiz poeult on faire arcs, mais les meilleurs sont de yf ». Effectivement, il est possible de réaliser des flatbows de tous bois et de presque toutes les puissances, mais si l’on désire un arc très puissant (plus de 100 livres comme ceux découverts dans la Mary Rose), alors, il faut privilégier des bois très résistants comme l’if. Un flatbow de 120 livres en peuplier serait certainement trop large pour qu’on l’appelle « arc », il s’agirait alors plutôt d’un snowboard, voire d’un bouclier !
LA COURBE DES BRANCHES
La courbure des branches a une grande importance sur l’efficacité de l’arc, mais aussi sur sa résistance. Plus la courbure rendra l’arc efficace, plus elle le soumet à des contraintes qui risquent de le casser. C’est pourquoi les arcs traditionnels les plus efficaces, les plus recourbés sont réalisés avec des matériaux plus résistants que le bois (tendon et corne), il s’agit toutefois de matériaux plus lourds que le bois et qu’il ne faut donc pas utiliser pour les arcs simples.
Les arcs reflex
Un arc reflex demande une plus grande force pour placer la corde (précontrainte), ce qui est bénéfique pour l’efficacité de l’arc. L’arc plie sur une plus grande distance lorsqu’on l’arme, les branches seront alors plus fines pour une puissance égale (comme si on armait un arc droit à plus grande allonge). L’arc deflex a donc moins de poids mort, mais plus de contraintes dans le bois.
Au contraire, l’arc deflex sera plus épais pour une puissance identique et perdra donc en efficacité, mais il a moins de risque de casse.
Les arcs recurve
L’arc recurve possède 3 avantages :
– une précontrainte dans l’arc (effet similaire à l’arc reflex).
– pour les arcs très courts, cela permet de réduire l’angle de la corde
– raccourcir fictivement la longueur de l’arc dans les premiers pouces d’allonge. La puissance augmente plus rapidement dès qu’on l’arme et se radoucie à quelques pouces avant l’allonge finale, car la forme recourbée des branches agie comme un bras de levier. Ceci permet de stocker plus d’énergie dès les premiers pouces d’allonge. Pour cela, la courbure doit être assez importante pour que la corde touche le bois de l’arc. Sinon, ce troisième effet n’existe pas.
Toutefois, comme pour l’arc reflex, le recurve crée une précontrainte dans le bois. De plus, l’arc plie souvent sur une plus faible longueur à cause de la courbure en bout de branche (plus de risques de casse).Les arcs recurves nécessitent souvent d’épaissir la branche à ces bouts ce qui alourdis donc l’arc là où c’est le plus préjudiciable, ce qui peut donc annuler certains effets positifs de ce type de forme.
L’arc à contre courbure (deflex et recurve) apporte les avantages du recurve tout en réduisant légèrement les contraintes grâce au deflex.
Arc recurve en frêne (avec backing en lin recouvert de cuir)
Pour obtenir un arc recourbé, il existe plusieurs solutions :
– Choisir une branche naturellement courbe (plus simple à trouver pour un reflex qu’un recurve).
– Recourber en faisant sécher le bois. Le bois vert est plus malléable que le bois sec et en le laissant sécher sur une forme particulière (reflex ou recurve), l’arc conservera partiellement cette forme. Cette solution convient pour de faibles courbures.
– Recourber le bois après séchage.
Il existe plusieurs manières de recourber le bois après séchage (eau bouillante, vapeur, chaleur…). Toutefois, il est utile de garder en mémoire qu’il faut toujours partir d’une branche symétrique et la plus droite possible.
ÉVITER LA RUPTURE
Comme nous venons de le voir, plusieurs éléments influencent les contraintes internes, et donc le seuil maximum auquel le bois peut résister.
Pour limiter les risques de rupture, il faut donc :
– Diminuer la puissance
– Augmenter la longueur de l’arc
– Donner une section quadrangulaire aux branches
– Privilégier la largeur des branches plutôt que leur épaisseur
– Suivre parfaitement les fibres du bois côté dos
– Choisir un bois résistant et flexible
– Limiter les formes qui induisent trop de contraintes dans le bois (reflex ou recurve).
– Placer un backing (voir de la corne sur le ventre) si la contrainte est trop importante (forte courbure, arc très petit…)
– Par la suite, nous verrons qu’il faut aussi répartir les contraintes sur toute la branche (flexion uniforme).
Dans la pratique, si vous ne pouvez pas répondre à un ou plusieurs de ces critères, alors, il faut compenser avec d’autres.
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