Le dégrossissage est peut-être l’étape la plus impressionnante en public, car en une demi-heure, le morceau de bois ressemble à un arc.
En réalité, il s’agit de retirer toute la matière inutile qui « cache » notre futur arc, retirer le bois autour de l’esquisse réalisée précédemment tout en laissant une marge d’erreur nécessaire.
Comme beaucoup d’étapes précédentes, il est possible de dégrossir l’arc après séchage du bois. D’ailleurs la plupart des outils électriques sont prévus pour travailler le bois sec, dans ce cas, le séchage devra donc être terminé avant de commencer le dégrossissage.
Dans notre cas, nous utilisons principalement des outils manuels. Il existe alors plusieurs avantages de faire sécher le bois après dégrossissage :
– Il est beaucoup plus simple et rapide de travailler du bois vert à la plane.
– Plus la branche à sécher sera fine (section réduite), plus elle séchera rapidement (exponentiel).
LES OUTILS
Les arcs peuvent être réalisés avec de nombreux outils, électriques ou manuels : plane, rabot, râpe, couteau, ponceuse, herminette …
Notre but est de présenter les techniques anciennes durant des fêtes médiévales, c’est donc essentiellement avec les outils anciens que nous travaillons… la plane presque uniquement, car elle permet de réaliser un arc de A à Z dès lors que le bois est fendu.
La plupart des outils coupent le bois sans tenir compte du sens des fibres et de leurs ondulations. C’est le cas pour le rabot et les outils électriques. Il est possible de réaliser des arcs de cette manière, mais il faut alors être plus prudent (surtout si vous travaillez le dos de l’arc) et savoir observer le bois pour identifier le sens des fibres (astuce : l’huile de lin permet de révéler les fibres du bois, mais le gras peut gêner certains outils – ponceuse…).
Les bois avec des cernes peu marqués (érable, cornouiller…) sont donc peu recommandés, de même pour les bois ayant des cernes trop larges (trop de marge entre chaque cerne).
Comme nous le verrons par la suite, nous utilisons parfois la ponceuse électrique pour réaliser le tillering des flatbows, car cet outil permet de retirer une très fine épaisseur de bois à chaque passage, ce qui est utile pour les flatbows puisqu’une légère différence d’épaisseur influence fortement la courbe de l’arc.
L’herminette est probablement l’un des premiers outils utilisés pour réaliser des arcs (herminettes en silex à l’époque préhistorique). Dans sa version métallique, il s’agit d’un outil qui retire rapidement de la matière, mais le résultat n’est pas visible immédiatement (les copeaux de bois restent sur l’arc, ce qui peut induire en erreur). C’est donc un outil à utiliser avec prudence ou pour les personnes expérimentées et patientes, car cet outil nous a valu de nombreuses erreurs (arc de faible puissance !). C’est toutefois un outil puissant qui traverse les nœuds alors que la plane aura tendance à bloquer, il pourra donc être utile durant le dégrossissage pour retirer les gros nœuds.
L’outil que nous vous recommandons sera donc la plane, c’est en tout cas celui que nous maitrisons le mieux et qui est adapté à notre méthode de travail… ou bien c’est notre méthode qui s’est adaptée à l’outil ! La plane, lorsqu’elle est très aiguisée coupe également le bois à la manière du rabot. Dans ce cas, elle ne suivra pas les fibres du bois, mais elle permettra de couper plus facilement les nœuds.
Toutefois, nous conseillons de ne pas l’aiguiser (ou peu), elle coupera toujours suffisamment pour entrer légèrement dans le bois, ensuite, l’épaisseur de l’outil permet de fendre le bois sans véritablement le couper, ce qui permet de suivre très facilement les ondulations de ces fibres.
Malgré tout, certains bois sont plus ou moins faciles à travailler avec un outil ou un autre.
– L’if est un bois très agréable à travailler à la plane, car il se fend très légèrement à son passage (la plane retirera des copeaux, alors que certaines machines électriques répandront des poussières de bois toxiques dans l’air).
– Le frêne ne se fend pas beaucoup et crée des copeaux moins longs. C’est un bois assez facile à travailler.
– Le robinier par contre se fend trop facilement et n’est pas agréable à travailler à la plane, car une fois entrée dans le bois, la lamelle se fend jusqu’à l’extrémité des branches, ce qui laisse peu de place à l’erreur. Le résultat sera aussi moins lisse et demandera souvent plus de temps de ponçage (et impose souvent un vernis)
Pour d’autres bois, voir cet article.
L’ÉTABLI
Il existe plusieurs solutions d’établi pour réaliser un arc :
– L’étau métallique –
Objet le plus courant sur les établis modernes, il peut être utilisé pour réaliser ces premiers arcs. Il faudra qu’il soit placé dans un endroit qui lui laisse au moins 1m de long côté à travailler et 2m de l’autre (lorsque l’on réalise les poupées).
Le gros problème de l’étau métallique, c’est qu’il va laisser des traces sur le bois (le métal étant plus dur que l’arc) et en serrant, il pourrait aussi écraser le bois, ce qui est très mauvais.
Il faudra donc soit protéger le bois en l’enroulant dans un chiffon bien large, soit fixer des morceaux de bois léger sur les mâchoires de l’étau afin qu’il n’entaille pas le bois de l’arc. La dureté des mâchoires doit être inférieure à celle de l’arc pour ne pas laisser de traces (utiliser du peuplier, du balsa…). Il peut être utile d’arrondir les angles de la mâchoire également.
– L’étau en bois –
Il sera plus approprié pour travailler le bois ! Attention également de coller des mâchoires en bois léger (et les remplacer lorsque cela est nécessaire). Il devra avoir les mêmes distances autour.
Il en existe plusieurs formes, mais il devra surtout être bien fixé à la table (éviter que l’arc bouge) et idéalement, il devra être assez long pour maintenir correctement l’arc (30 cm par exemple) et avoir des mâchoires assez hautes pour éviter qu’elles ne relâchent l’arc aux premiers chocs.
– L’établi « Froissart » –
Il s’agit d’un établi utilisé depuis des siècles et qui a été popularisé chez les scouts par Michel Froissart (d’où son nom actuel) dans son livre « Le froissartage » (technique simple de construction d’installation en bois sans clous, vis ou colle). Froissart a surtout repris des techniques artisanales et paysannes ancestrales. En savoir plus : Michel Froissart Le Froissartage
Il est assez rapide de réaliser un établi Froissart et cela ne demande pas beaucoup de matériaux. Fabrication
Il en existe de nombreuses variantes formelles, mais le principe est toujours identique : une structure maintient un établi à hauteur d’homme et une pédale, actionnée par le pied, permet d’écraser le bois contre l’établi au moyen d’une corde ou d’une tige métallique. Le pied maintenant le bois, les deux mains sont libres pour travailler le bois (plane ou autres outils).
L’établi Froissart à l’avantage d’être léger, facilement démontable et donc transportable. Il maintient très bien le bois et il est plus rapide de bouger la pièce qu’avec un étau (actionné avec le pied).
Toutefois, le fait qu’il maintient le bois contre l’établi, cela le rend moins adapté pour travailler les pièces tordues qui auront tendance à tourner sur elle-même (certaines faces sont moins accessibles).
La position debout permet de pousser de son poids sur la pédale, toutefois les personnes ayant mal au dos pourraient ne pas apprécier la position de travail. Il sera toutefois possible d’utiliser l’établi même en étant assis (tabouret).
Dégrossissage à la chaine !
– Le banc d’âne –
Il s’agit d’un autre type d’établi ancien qui diffère de l’établi Froissart par le système de maintien du bois (souvent levier à pédale maintenant le bois par rotation), mais aussi par la position assise de l’utilisateur qui se trouve sur un banc.
L’avantage est bien sûr la position assise, mais n’ayant presque jamais utilisé de banc d’âne, nous ne connaissons pas vraiment les désavantages pour la facture d’arc. Il semble toutefois plus difficilement transportable (plus de pièces de bois, encastrements…). Le travail des pièces tordues doit être aussi difficile qu’avec l’établi Froissart. En savoir plus
L’ESTHÉTIQUE
Les outils utilisés ont une conséquence non négligeable sur l’esthétique finale de l’arc, et surtout sur la forme du ventre de l’arc :
– Les outils qui coupent les fibres du bois (outils électriques, rabot, plane très aiguisée…) offriront un ventre lisse, exempt des ondulations des fibres du bois.
Dans ce cas, il sera préférable d’éviter les branches avec trop de nœuds et ondulations, car certaines fibres pourraient être coupées (en rouge). De même, cette solution ajoute du poids mort (en bleu).
Flatbow en noisetier fabriqué partiellement avec une ponceuse électrique (le ventre est parfaitement plat)
– Les outils qui suivent les fibres du bois (plane peu aiguisée, couteau…) offriront un résultat différent lorsque le bois possède des ondulations et des nœuds. Le ventre de l’arc sera donc ondulé. Ne pas couper les fibres possède quelques avantages : pas de faiblesse du bois et allègement de l’arc (pas de poids mort à l’endroit des nœuds et ondulations).
Longbow en if (le ventre suit les ondulations des fibres)
Puisque la plane tend à fendre le bois plutôt que de le couper, cela crée certaines entailles assez caractéristiques dans le bois qui ne sont pas toujours faciles à retirer ensuite si vous désirez une finition parfaitement lisse. Si vous ne désirez pas cela, les outils électriques seront plus efficaces, toutefois, on peut retrouver ce genre d’entailles sur les arcs vikings de Haithabu découvert en fouille, il est donc probable que leurs techniques étaient proches de la nôtre.
PRÉCISION CRESCENDO
L’avantage des outils électrique est souvent la rapidité du travail, toutefois, dans la réalisation d’un arc, la rapidité induit souvent des erreurs irréparables qui ont pour conséquence la perte de puissance des arcs. Malgré tout, lors du travail de dégrossissage, le principal sera de pouvoir retirer rapidement de la matière afin de s’approcher de la forme définitive sans passer plusieurs heures de travail.
En d’autres termes, au fur et à mesure du travail de l’arc, il est utile d’être de plus en plus précis et donc de retirer de moins en moins de matière par passage. Cela est possible en utilisant des outils différents, mais la solution que nous retenons est celle de l’utilisation unique de la plane, qui permet à l’utilisateur de gérer sa propre force, la profondeur à laquelle on entre la lame et de pouvoir ressortir du bois lorsque ceci est nécessaire.
La plane permet donc de retirer des lames de bois de 50cm de long sur plusieurs cm de large lors du dégrossissage ou encore de fines torsades de bois afin de parfaire la finition de l’arc en fin d’équilibrage. Avec les autres outils il sera souvent nécessaire d’adapter les outils, les lames ou disques à poncer au degré de précision nécessaire afin de ne pas perdre de temps au début de la réalisation, et de ne pas aller trop rapidement en fin de travail.
LES ÉTAPES DU DÉGROSSISSAGE
Pour le dégrossissage, il existe plusieurs choses à prendre en compte :
1. Retirer les fissures
Il faut tout d’abord retirer toutes les zones où il y a des fentes profondes dans le bois. Pour cela, il faut retirer de la matière du côté refendu afin d’observer si les fissures sont profondes. Cette étape permet d’avoir un bois apte à faire un arc, mais surtout voir les endroits où le bois est moins épais. Ceci sera utile pour identifier le centre de l’arc et sa forme générale comme décrits précédemment.
Si vous avez opté pour le sciage de long, il faudra aussi retirer une première couche côté scié afin d’observer le sens des fibres. Si elles ondulent légèrement, il sera préférable de rattraper la surface en suivant ces fibres. Si les ondulations sont trop importantes, le risque de perdre trop de matière est augmenté et il sera donc préférable de tenter d’utiliser des outils qui ne suivent pas les fibres (avec un plus gros risque de casse).
Dans le cas de fibres vrillées (torsion de l’arbre autour de son tronc), il sera souvent préférable de faire sécher le bois avant de le travailler, car en séchant, il est possible que le bois se déforme et redresse les fibres, ce qui peut ruiner les possibilités de fabriquer un arc ou alors faciliter le travail. Si l’arc est dégrossi avant le séchage et qu’il se redresse ensuite, cela ne laissera plus beaucoup de possibilités par la suite.
2. Imaginer la forme
L’étape suivante est de déterminer plus ou moins l’endroit du futur arc et son centre (voir article précédent). Si le bois est bien plus grand que l’arc final, il est plus simple de recouper le bois à ce moment en laissant 10cm de marge de chaque côté (au cas où durant le séchage le bout se fendrait). Cela limitera le travail de dégrossissage à la plane.
Il est souvent utile de lier un fil tendu entre les extrémités des branches pour vérifier si le centre est aligné et corriger si nécessaire.
3. Tracer la forme
Ensuite vous pouvez soit retenir mentalement la forme de l’arc, soit la tracer au crayon sur le bois en sachant qu’il faudra alors répéter plusieurs fois le tracé, car le dégrossissage retire beaucoup de matière (et les traits avec).
Malgré tout, les dimensions sont rarement définies dès l’origine si vous désirez une puissance précise (sauf peut-être avec l’expérience… et encore !). Dans un premier temps, il sera plus prudent de viser large.
4. Dégrossissage latéral
Il est alors possible de retirer de la matière sur la partie latérale de l’arc selon le tracé, en laissant une marge de sécurité de quelques millimètres de chaque côté (environ 5 mm si vous avez l’habitude, sinon un peu plus).
Attention qu’aux extrémités, il est utile de laisser une marge plus importante afin de pouvoir rectifier l’alignement des 3 points après séchage. Il faudra laisser 4-5 cm de large environ depuis la moitié de la branche jusqu’aux poupées (en sachant que l’arc final ne fera que 10-15mm de large aux poupées).
5. Dégrossissage en épaisseur
Retirer ensuite la matière sur l’épaisseur de l’arc en laissant également 5 mm (ou plus) de marge de sécurité par rapport au tracé théorique.
D’une manière générale, l’épaisseur de l’arc se réduit progressivement du centre vers les extrémités (env. 10-15 mm d’épaisseur aux poupées une fois l’arc fini). Cette diminution sera plus importante pour les longbows. Le but pour l’instant est donc d’avoir une réduction constante, si un nœud induit des formes particulières, il sera judicieux de laisser plus de matière afin de gérer cela plus tard lors de l’équilibrage.
6. Dégrossir la poignée
Pour les flatbows, il peut être intéressant de dégrossir la poignée afin d’avoir plus de facilité pour l’étape suivante, mais aussi pour que le séchage soit plus rapide et évite les fissures à cet endroit. Les fissures à la poignée ne sont pas forcément gênantes pour la durabilité de l’arc, car le flatbow ne plie pas à cet endroit, mais ces fissures devront régulièrement être contrôlées par l’archer.
7. Premier tillering au sol
Maintenant que la forme de l’arc est dégrossie, il est utile de faire un premier test de courbure.
Tant que le bois est vert, il est déconseillé de mettre une corde pour le faire plier, il garderait alors cette courbe, négative pour l’efficacité de l’arc. La solution à adopter sera donc de le faire plier au sol sur une dizaine de centimètres en plaçant une poupée au sol, la main droite au centre de l’arc et la main gauche au milieu de la branche du dessus (ou inversement si vous êtes gaucher). En poussant sur le centre, la branche au sol pliera. Il faudra ensuite répéter en inversant le sens de l’arc.
Dans un premier temps, il faut vérifier que les branches plient légèrement. Si ça ne plie pas du tout, l’arc final dépasserait certainement les 100 livres (s’il ne casse pas avant). Si l’arc plie légèrement, il avoisinera les 70-80 livres et s’il semble qu’il pourrait facilement plier 20-30 cm, alors il avoisinera les 30 livres. Toutefois, cette estimation n’est possible qu’avec de l’expérience (c’est aussi déterminé par la force du facteur d’arc). Il faut aussi garder en tête que l’arc une fois sec sera encore plus dur à faire fléchir.
Dans un second temps, il faut vérifier que la même force doit être appliquée pour les deux branches. Si ce n’est pas le cas, la branche plus dure doit être amincie.
Selon les cas, il faudra donc retirer de la matière sur la ou les branches trop puissantes en recommençant les points 4, 5 et 6 autant de fois que nécessaire jusqu’à ce que les branches plient et autant de chaque côté. Malgré tout, avant séchage, le plus simple sera de viser 20 livres au-dessus de la puissance désirée afin de laisser toutes les possibilités d’erreurs ultérieures.
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