Voici, en image, les quelques grandes étapes de la réalisation d’une réplique de l’arbalète retrouvée dans les douves du château de Lillohus (région de Scania – Suède). Il s’agit d’une arbalète très simple à réaliser, car elle ne demande pas de pièces en métal ou en corne, uniquement du bois et un peu de corde. Le système de déclenchement de la corde est aussi très simple, c’est pourquoi les Anglais l’appellent « Skane Lockbow » plutôt que « crossbow » (arbalète).
L’arbalète de Lillohus a été retrouvée en 1941 dans la province de Scania, à l’extrémité sud de la Suède (Province danoise jusqu’en 1658). L’arbalète a, semble-t-il, été utilisée en 1525 durant les révoltes paysannes, toutefois des modèles similaires existaient certainement durant les siècles précédents. Le modèle d’arbalète retrouvée en France à Charavines (Xe siècle) utilise un arrêtoir similaire, bien que le verrou de déclenchement soit par-dessus (moins précis). Des arbalètes similaires sont encore utilisées au XIXe siècle pour chasser la baleine. Le système de déclenchement (arrêtoir à verrou glissant de bas en haut) est aussi identique aux arbalètes à répétition chinoises (Shu Ko Nu).
Voici un plan de l’arbalète de Lillohus. Il est toutefois dommage de ne pas avoir d’échelle ni de précisions. En recherchant sur internet, il semble que l’arbrier fait 81 cm de long et l’arc environ 1m. Nous partirons sur des dimensions similaires, car elles semblent réalistes.
RÉALISATION DE L’ARBRIER
Nous partons d’une grosse branche de prunier Reine-Claude (prunier d’Italie) d’un diamètre de 15 cm environ. Nous avons environ 1m entre les deux gros nœuds des extrémités. La branche a été coupée il y a quelques années dans le jardin, elle traine depuis dans l’atelier sans y trouver d’utilité… en voici donc une parfaite : une arbalète !
La branche est coupée aux extrémités pour retirer la partie la plus utilisable. Elle est ensuite coupée de long, à la scie circulaire (première fente agrandie ensuite au coin et à la masse). Cette étape aurait pu être réalisée en le fendant avec des coins uniquement, mais si le bois était vrillé il y avait des risques de rater et de devoir tout jeter.
Dans un deuxième temps, nous donnons quelques coups de rabots afin d’obtenir une surface plane des deux côtés. Nous pouvons commencer à imaginer le tracé général de l’arbalète. Le bois supérieur permettra de réaliser l’arbrier, le bois inférieur sera recoupé en deux sur la longueur pour réaliser le levier de déclenchement.
Nous recoupons les bords arrondis au rabot afin d’obtenir un chevron plus simple à travailler (plus rectangulaire). Le tracé de l’arbalète est rapidement dessiné sur le bois en laissant un peu de marge.
Le bois est coupé grossièrement à la scie sauteuse. La forme de l’arbalète est ensuite donnée à la plane, outil que nous apprécions particulièrement pour réaliser des arcs. Cet outil permet d’avoir une surface qui suit les ondulations du bois, une esthétique qui nous semble particulièrement appropriée pour une arbalète de conception simple.
L’encoche est aussi coupée dans l’arbrier, ainsi que les trous pour la fixation de l’arc et la cavité permettant de tenir le levier de déclenchement (réalisé au ciseau à bois).
Le levier sera réalisé dans le bois en dessous (quart de la branche de base).
Voici les deux pièces qui s’emboitent. Le levier a été travaillé à la plane également. Il est fin et large à sa base afin de s’emboiter dans le tenon de l’arbrier, plus épais au centre afin de le percer par la suite et s’affine ensuite (section plus arrondie).
Les premiers dessins sur le bois avaient été réalisés de mémoire et après vérification, le trou supérieur est un peu plus long que sur l’arbalète d’origine, de même pour le tenon. Cela n’a pas vraiment d’importance, il nous semble. Il est fort probable que les arbalètes de ce type étaient toutes légèrement différentes.
Par facilité, nous utilisons un tourillon de hêtre pour la goupille de déclenchement. À la ponceuse nous réduisons le diamètre après quelques centimètres afin que la goupille de déclenchement se bloque dans le fond de son logement et maintien le levier. Ce rétrécissement était essentiel pour les arbalètes Shu Ko Nu, mais le semble moins ici. Le plan de l’arbalète de Lillohus ne semble pas le mentionner, bien que le très mauvais état de l’arme retrouvé puisse l’avoir fait disparaitre.
Voici donc la goupille de déclenchement mise à la longueur finale. Le système de maintien de cette pièce n’est pas clair sur le document d’origine, il semble y avoir uniquement un affinement à l’endroit du levier. Il est possible que la goupille était juste collée dans le levier de déclenchement avec du brou de noix par exemple. (L’état de dégradation avancé de l’arbalète d’origine laisse certainement plusieurs possibilités).
Toutefois, un système laissant une certaine liberté à la goupille semble plus efficace pour éviter de la bloquer dans l’arbrier. Nous optons donc pour un simple fil de lin qui traverse la goupille et le levier.
Les trois pièces sont poncées à la main et passées à l’huile de lin afin de faire ressortir la couleur chatoyante du prunier.
Après un simple assemblage et un petit nœud pour maintenir la goupille, l’arbrier est alors fonctionnel et terminé… réalisation très simple et en même temps très efficace et fonctionnel.
RÉALISATION DE L’ÉTRIER
Il n’est pas certain que cette arbalète possédait un étrier. Aucune pièce métallique n’a été retrouvée, semble-t-il. Toutefois, à notre connaissance, la majorité des arbalètes de l’époque ont un étrier qui offre une solution bien plus efficace pour armer que de marcher à deux pieds sur l’arc. L’étrier sera aussi plus simple pour suspendre l’arbalète par la suite.
Nous imaginons donc la possibilité d’un étrier en corde, disparu avec le temps durant l’enfouissement.
Une simple corde de chanvre résistante fera l’affaire ! Nous ouvrons les torons aux extrémités pour réaliser une épissure carrée (la corde à 8 torons ne facilite pas l’affaire !). Ensuite, nous enroulons la corde pour réduire le diamètre de l’anneau à celui d’un étrier classique. 4 passages suffisent.
Les 4 boucles sont enroulées d’un fin fil de lin afin qu’elle garde plus ou moins la forme d’un étrier trapézoïdal. Il s’agit en effet d’une forme bien adaptée pour le pied. Le chanvre n’est pas aussi rigide que l’acier, mais c’est parfaitement fonctionnel.
RÉALISATION DE L’ARC
Beaucoup de choses à dire concernant la réalisation d’un arc. Nous vous proposons plutôt de lire les articles à ce sujet. Voici toutefois quelques photos à des étapes clés.
Nous n’avons pas trouvé d’information claire sur le bois utilisé pour l’arc ou l’arbrier de l’arbalète d’origine. Nous avons pu lire sur un forum qu’il s’agirait de frêne (possible, vu les cernes très marqués sur l’arbalète d’origine). Toutefois, le bois semble un peu rougeâtre sur les photos, ce qui nous fait penser à l’if, comme tout bon facteur d’arc que nous sommes.
Nous prenons donc une billette d’if que nous conservons depuis des années dans l’atelier en sachant qu’il est bien trop petit pour en faire un arc (1m50 environ avec deux énormes nœuds)… sauf pour un arc d’arbalète !
Le bois est fendu avec un burin plat et une hachette.
Nous voyons immédiatement qu’à l’extrémité gauche, il ne reste plus beaucoup de duramen (partie rouge). De plus, l’aubier (partie blanche) est très épais (3-4 cm) et devra être enlevé partiellement. Le bois est aussi légèrement vrillé… l’exemple parfait d’un bois à jeter dans le feu pour les débutants !
Le bois est dégrossi à la plane. Travail peu évident vu le bois d’origine. Nous retirons plus de 2-3cm d’aubier côté dos de l’arc pour laisser environ 6-7mm. Le duramen est légèrement travaillé afin de lui donner la forme générale de l’arc.
Malgré la branche de base plutôt tordue, l’arc aura finalement moins de nœud et aspérités que l’arc ancien.
L’arc après Tillering (équilibrage).
Au centre de l’arc, nous laissons une partie plate bien que ceci ne semble pas visible sur l’arc d’origine. En effet, l’arbrier n’a pas d’encoche ronde pour maintenir l’arc, il est juste lié au bout de l’arbrier plat.
La section des branches est un peu plus ronde que sur l’arc d’origine (plus aplatis). En effet, afin de conserver une épaisseur de duramen sur tout l’arc, la section ronde ou en D était plus appropriée.
L’arc armé à une allonge un peu inférieure à celle de l’arbalète (il a toutefois été testé au-delà de l’allonge finale). La courbure est assez uniforme.
Nous désirions une puissance de 60 livres, mais vu notre peu d’expérience en arc d’arbalète, la puissance sera finalement plutôt de 50 livres. En effet, vu la faible allonge des arcs d’arbalètes, ils semblent très tôt prendre en puissance, ce qui peut être déroutant lorsqu’on a l’habitude des arcs.
L’arc est poncé et huilé afin de s’harmoniser avec le reste de l’arbalète. La couleur de l’if s’accorde parfaitement avec celle du prunier Reine-Claude.
Les poupées définitives sont taillées dans le bois comme sur l’arc d’origine (en forme de losange). Nous plaçons toutefois une ligature de tendon sous l’encoche afin de renforcer le bois (risque de se fendre). Il n’est pas certain que ceci existait sur l’arc d’origine.
L’ASSEMBLAGE GÉNÉRAL
Voici toutes les pièces de l’arbalète. Il ne reste plus qu’à les assembler à l’aide de fil de chanvre et de lin.
L’étrier est premièrement attaché au centre de l’arc avec un fin fil de lin.
L’arc est ensuite maintenu sur l’arbrier avec du fil de chanvre.
Le fait d’avoir 2 trous dans l’arbrier pourrait avoir plusieurs raisons :
– Le trou le plus large servait à maintenir l’arc tandis que le deuxième maintenait un étrier de corde.
– Vu que l’arbrier ne comporte pas d’encoche pour tenir fermement l’arc, nous imaginons qu’avoir des ligatures par-dessus et par-dessous aide à caler correctement l’arc, sans qu’il ne puisse glisser en hauteur. Il s’agit donc de la solution que nous testons, ce qui est parfaitement fonctionnel.
La corde de l’arbalète d’origine n’a pas été conservée. Difficile de dire à quoi elle ressemblait. Nous partons sur une corde à 2 boucles, car nous ne connaissons pas d’arbalète avec des nœuds d’archer. Nous utilisons du Dacron par sécurité, la couleur est similaire au chanvre.
L’ARBALÈTE TERMINÉE
Et voici quelques photos de l’arbalète terminée…
Quelques photos d’une deuxième arbalète de ce type
75 lbs – entièrement en if
Texte, réalisation & photos : Fabien Houssin